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Pouvoir d’achat : le bouclier tarifaire, un soutien de 100 euros par trimestre

Pouvoir d’achat : le bouclier tarifaire, un soutien de 100 euros par trimestre

Selon l’Insee, le bouclier tarifaire a permis une réduction de l’inflation d’environ un point entre février 2021 et février 2022. Alexandr Podvalny/Pixabay, CC BY-SA

La forte reprise amorcée à la fin de la crise sanitaire a été stoppée par la guerre en Ukraine. L’arrêt des importations en provenance de Russie et d’Ukraine créée un risque de stagflation, c’est-à-dire un moment de faible de croissance accompagné d’une forte inflation.

Ce contexte nourrit les préoccupations de recul du pouvoir d’achat. Alors que les prix de vente augmentent, une activité au ralenti ne peut générer que de faibles progressions de revenu, rendant donc les fins de mois plus difficiles. Ces problèmes touchant tous les pays du monde, les baisses de pouvoir d’achat seraient alors partagées par tous.

Toutefois, les chiffres montrent que certains pays résistent mieux que d’autres. C’est en particulier de cas de la France.

Avant l’invasion russe de l’Ukraine, les prévisions de croissance française étaient de 4 % pour 2022 et 2 % pour 2023 ; selon la Banque de France, elles pourraient chuter à 2,8 % pour 2022 et 1,3 % pour 2023. Du côté de l’inflation, le scénario s’inverse : les prévisions étaient de 1,2 % pour 2022 et 2023, elles seraient maintenant de 4 % et 2,5 % pour 2022 et 2023 (prix à la production mesurés pas le déflateur du PIB). Cette dégradation de la situation en France contraste avec ce que l’on observe ailleurs.

En Allemagne, selon les chiffres de la Banque centrale allemande (Bundesbank), la prévision de croissance pour 2022 passe de 4,9 % à 1,9 % et celle de l’inflation passerait de 3,6 % à 7,1 % (indice des prix à la consommation). Aux États-Unis pour l’année 2022, les prévisions de croissance ont été révisées de 3,7 % à 2,5 %, alors que les dernières prévisions de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) feraient passer l’inflation de 4,6 % à 5,9 %.

 

Le choc économique étant lié à la forte hausse des prix de l’énergie, la meilleure résilience de l’économie française peut s’expliquer, en partie, par le bouclier tarifaire mis en place en octobre 2021 par le gouvernement français.

 Un point d’inflation en moins

Ce bouclier tarifaire fige les tarifs réglementés de vente du gaz à leur niveau d’octobre 2021 et limite à 4 % la revalorisation de ceux de l’électricité de février 2022. Ces tarifs réglementés concernent près de 70 % de la consommation d’électricité des ménages et 30 % de celle de gaz. La Commission de régulation de l’énergie (CRE) a calculé que, sans le bouclier tarifaire, les prix auraient progressé de 66,5 % entre octobre 2021 et février 2022. Quant à ceux de l’électricité, ils auraient augmenté de 35,4 % le 1er février 2022.

Face à l’envol des prix de l’énergie, l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) indique que l’inflation aurait été de 5,1 % entre février 2021 et février 2022 « sans bouclier tarifaire », alors qu’elle n’a été que de 3,6 % dans les faits, soit 1,5 point d’inflation en moins grâce au bouclier tarifaire. Si le gouvernement, comme il l’a annoncé, étend sur l’année 2022 ce bouclier, alors nous pouvons anticiper, en restant mesurés, une réduction d’un point de l’inflation sur l’année à venir.

 

Inflation contrefactuelle estimée sans bouclier tarifaire et inflation d’ensemble finalement observée

 

Inflation en glissement annuel, en %, contributions en points. Lecture : sans mesures limitant les hausses des prix énergétiques, l’inflation d’ensemble aurait été de 5,1 % sur un an en février, contre 3,6 % observé en réalité. L’énergie aurait contribué à hauteur de 3,2 points à cette inflation contrefactuelle, contre 1,6 point dans l’inflation réalisée. Insee (mars 2022)

Pour évaluer l’impact de la hausse des prix de l’énergie sur le pouvoir d’achat des Français, nous sommes partis de prévisions de prix du baril de pétrole pour les années 2022 à 2024. Le pétrole est généralement retenu comme indicateur du prix des énergies, les contrats de vente de gaz incluant des clauses d’indexation sur le cours du baril de pétrole, le prix de l’électricité étant quant à lui fortement dépendant de celui du gaz.


Trois scénarios sont comparés afin d’apprécier l’effet de la hausse des prix de l’énergie et d’évaluer l’impact du bouclier tarifaire :

  • le premier retrace l’évolution de l’économie française avec un prix du pétrole se stabilisant 98 % de son prix du quatrième trimestre 2019, qui correspond aux prévisions économiques avant l’invasion russe de l’Ukraine ;

  • le second intègre un doublement du prix du baril à l’horizon du premier trimestre 2024 ;

  • et un troisième où le doublement des prix de l’énergie est partiellement amorti par le bouclier tarifaire. Ce dernier scénario est calibré pour que l’inflation soit réduite de 1 point de pourcentage par rapport au scénario sans bouclier tarifaire.

Bien entendu, face à ces très fortes hausses des prix des produits énergétiques, les entreprises adaptent leurs politiques tarifaires pour ne pas perdre trop de clients. Les baisses de marges estimées sont de 12 points de pourcentage en moyenne entre fin 2021 et début 2024.

 Un point de PIB par tête en plus

Avec ces ajustements de marge, les prédictions d’inflation sont en accord avec celles de la Banque de France jusqu’au premier trimestre 2024, soit 4 % par an en moyenne sur ces deux années à venir, ce qui est beaucoup plus élevé que ce qui était prévu avant l’invasion russe de l’Ukraine (2,5 % par an en moyenne). Sans le bouclier tarifaire, le taux d’inflation aurait été de 5 % par an. À court terme, cette inflation réduit la demande et donc la production.

Nos estimations indiquent que la France perdra chaque trimestre, entre début 2022 et début 2024, une richesse de l’ordre de 1,6 % du PIB par habitant par rapport à fin 2019. Ceci représente une perte de 221 euros par trimestre et par habitant. Sans bouclier tarifaire, les baisses de pouvoir d’achat étant plus importantes, la perte trimestrielle serait de 2,5 %, soit 345 euros par trimestre et par habitant. C’est donc 1 point de PIB par tête qui est gagné grâce au bouclier tarifaire, soit plus de 220 euros par trimestre.

Toutefois, la production totale qui représente l’ensemble des revenus, qu’ils soient issus du travail ou des placements financiers, peut sembler être un mauvais indicateur du pouvoir d’achat, le plus souvent entendu comme une mesure de la capacité de consommation des salariés. Il est alors préférable de mesurer les gains de pouvoir d’achat en se limitant aux variations des revenus du travail.

Sans bouclier tarifaire, la réduction des revenus du travail aurait été de 2,1 % par trimestre par rapport à ceux de fin 2019, soit 148 euros par trimestre et par personne. Le bouclier tarifaire permet de limiter ces pertes à 0,6 %, soit 42 euros par trimestre. Ce sont donc un peu plus de 100 euros par trimestre de pouvoir d’achat qui sont gagnés grâce au bouclier tarifaire.

 

Auteur :
François Langot | Enseignant-chercheur en économie à Le Mans Université, laboratoire GAINS et Directeur adjoint de l’Institut du Risque et de l’Assurance et chercheur à l'Observatoire Macro du CEPREMAP

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons.
Lire l’article original.

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