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Système de santé : sortir de la "crise sans fin" n'est pas qu'une question de moyen

Système de santé : sortir de la « crise sans fin » n’est pas qu’une question de moyens
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Le vendredi 6 janvier, le président de la République Emmanuel Macron a présenté, lors de ses vœux aux acteurs de la santé, plusieurs pistes pour tenter de sortir le système français « de ce jour de crise sans fin ». Des moyens supplémentaires, comme l’accélération du recrutement d’assistants médicaux afin de parvenir à 10 000 créations d’ici 2024 (contre 4 000 actuellement), viennent donc s’ajouter à ceux déjà actés lors de son premier quinquennat : 12 milliards d’euros par an pour l’accroissement des rémunérations des soignants et les 19 milliards d’investissements dans les hôpitaux.

En plus de ces moyens financiers supplémentaires, des moyens humains et organisationnels ont été débloqués : la fin du numerus clausus pour les étudiants en médecine depuis la rentrée 2021en attendant la réorganisation du travail à l’hôpital annoncée le 6 janvier.

Le matin des annonces du président de la République, l’économiste Thomas Piketty appelait à accroître drastiquement les moyens alloués à la santé. Il appelait ainsi sur France Inter à consacrer jusqu’à 30 % du PIB à la santé en finançant les dépenses supplémentaires par des hausses de taxes, ce qui le faisait alors envisager des prélèvements pouvant aller jusqu’à 70 % du PIB !

Une simple question d’argent ?

En 2021, la France consacrait 12,3 % de son PIB aux dépenses de santé, ce qui est approximativement la même chose qu’en Allemagne où la part est de 12,8 % (9,5 % en Italie, 11,9 % au Royaume-Uni et 17,8 % aux États-Unis). Le manque de moyens n’est donc pas « criant ». Cependant, si la France et l’Allemagne consacrent la même part de leurs ressources à la santé, l’utilisation de ces moyens peut être très différente : en contrôlant ainsi par le niveau des moyens, on peut alors identifier, en comparant la France à l’Allemagne, les changements d’organisation qui permettraient de mieux faire.

 

Avec près de 8 lits pour 1 000 habitants en Allemagne en 2020, la possibilité de bénéficier de soins hospitaliers est plus importante que dans un pays où il y a seulement 5,7 lits pour 1 000 habitants comme en France (il y a 3,2 lits pour 1 000 habitants en Italie, 2,3 au Royaume-Uni et 2,8 aux États-Unis). De plus, l’Allemagne investit davantage dans la « qualité » des soins. Le pays compte plus de médecins (4,5 pour 1 000 habitants contre 3,4 en France), mais également plus de personnel médical (12,1 infirmiers contre 11,3 pour 1 000 habitants). Cet écart en capital humain s’est creusé, en défaveur de la France, depuis 2000.

 

De plus, les médecins et infirmiers allemands sont mieux payés que leurs homologues français. Un médecin généraliste allemand gagne environ 4,4 fois le salaire moyen allemand, alors que son homologue français ne gagne que 3 fois le salaire moyen français. Un infirmier allemand gagne 1,1 fois le salaire moyen allemand alors que ce facteur n’est que de 0,9 en France.

Pour le patient, l’accès et la qualité des soins ne peuvent alors être que meilleurs outre-Rhin : chaque Allemand consulte davantage un médecin qu’un Français, il bénéficie de plus de radios, de scanners, de séjours plus longs en hôpital et de davantage d’innovations médicales.

Des inefficacités organisationnelles peuvent alors expliquer qu’à dépense égale dans la santé, il y ait moins de lits en France, moins de personnels soignants percevant de plus faibles rémunérations et moins d’innovations médicales. Nous allons en dégager trois, dans les domaines de la pharmacie, l’hôpital et la recherche médicale.

Le pharmacien peut redevenir un soignant

Il y a plus de pharmaciens de France qu’en Allemagne (1,03 contre 0,67 pour 1 000 habitants) et ces personnels de santé ont de fortes rémunérations sans pour autant effectuer de soins. Cette forte « force de vente française » en médicaments a conduit la part française des dépenses de santé consacrées aux produits pharmaceutiques à être supérieure à celle de l’Allemagne : avant 2014, elle a culminé à 18 % des dépenses de santé en France, alors qu’elle n’a jamais dépassé 15 % en Allemagne.

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Pour faire face à une offre qui ne permet pas à tous les patients d’être en contact avec un personnel de santé, les pharmaciens pourraient effectuer des tâches de prescriptions simples, et ainsi désengorger les médecins généralistes. Cette réallocation des tâches permettrait aux généralistes de se concentrer sur les cas qui nécessitent une expertise pointue. Ceci justifierait alors en partie l’augmentation des honoraires qu’ils demandent. Les pharmaciens contribueraient donc à la production de soins.

Reconcentrer les hôpitaux français

Si l’on se focalise sur l’hôpital, qui est aujourd’hui sous les projecteurs de l’actualité, la France y consacre davantage de moyens que l’Allemagne, avec 4,6 % de son PIB contre 3,6 % (deuxième rang en Europe après le Royaume-Uni). Mais ce qui caractérise la France, c’est son très grand nombre d’établissements hospitaliers : il y a 4,42 hôpitaux pour 100 000 habitants en France contre seulement 3,62 hôpitaux pour 100 000 habitants en Allemagne (il y en a 2,86 au Royaume-Uni, 1,80 en Italie et 1,86 aux États-Unis).

 

Comme la France a aussi un très grand nombre de lits d’hôpitaux (pour rappel, 6 lits pour 1 000 habitants), il y a donc un phénomène d’atomisation : le nombre moyen de lits en France par hôpital reste inférieur à la situation en Allemagne. Cette atomisation réduit la qualité des soins car celle-ci est fortement liée au volume de travail de ses agents : le niveau d’expertise croît fortement lorsque de multiples cas ont été traités par les équipes médicales d’un établissement. Les patients intègrent bien cela en demandant toujours à être traités par l’hôpital le mieux réputé.

Ainsi, une partie des moyens consacrés à l’hôpital n’améliore pas les soins. De plus, cette atomisation est très coûteuse car l’activité hospitalière se caractérise par des effets de seuil : quel que soit le volume de soins effectué par un hôpital, des moyens minimaux en équipements et en personnels sont exigés (coûts fixes de fonctionnement). Le saupoudrage des moyens sur une trop grande quantité de structures hospitalières conduit alors à payer plusieurs fois les mêmes coûts fixes, alors que dans certains hôpitaux, l’utilisation de ces équipements et des personnels reste trop faible pour garantir une bonne qualité du soin.

Enfin, cette multiplication des centres hospitaliers a conduit la part des dépenses de santé consacrée à l’administration du système de santé à être plus forte en France : elle était de 8 % dans les années 1990 et 7 % dans les années 2000 contre 5,5 % pendant ces 20 années en Allemagne.

 

Ceci doit conduire à transformer rapidement une partie des hôpitaux locaux de soins aigus en hôpitaux de proximité. Cela assurera une meilleure rationalité économique dans la gestion des moyens octroyés aux hôpitaux (réduction de coûts fixes), satisfera davantage l’exigence de qualité des soins hospitaliers aigus, tout en maintenant d’un tissu local de prise en charge de soins de premiers recours.

Enfin, il faut remarquer que le très grand nombre d’hôpitaux sur notre territoire ne garantit pas à la population un meilleur soin en cas d’accident : le taux de mortalité dans les 30 jours après une admission pour un infarctus est 7,05 % en France contre 5,5 % en Allemagne (6,6 % aux États-Unis et 7,25 % en Italie). La santé et donc l’hôpital sont des « biens publics », pas des outils de développement local d’un territoire !

Réallouer les moyens de la recherche

L’épisode du Covid-19 a alerté le grand public sur les déficiences de la recherche médicale française. L’Allemagne, avec BioNTech et l’université de Mayence, le Royaume-Uni, avec AstraZeneca et l’université d’Oxford ainsi que les États-Unis avec Moderna et les fonds engagés par Pfizer pour soutenir BioNTech sont les pays qui ont mis au point un vaccin.

Est-ce une surprise ? La qualité de la recherche-développement (R&D) des pays est particulièrement mise à l’épreuve lorsqu’il s’agit de trouver une solution à un nouveau problème : des moyens doivent être réalloués pour « créer » ces nouveaux produits, et ces moyens doivent être mis entre des mains qui ont les très fortes compétences nécessaires pour produire un bien de niveau international.

Or, le manque de moyen de la R&D française est connu. Il se traduit par un plus faible nombre de brevets déposés chaque année (approximativement 110 brevets par million d’habitants en France contre 350 en Allemagne). Mais, si l’on fait abstraction du niveau des moyens, la France se caractérise par une plus faible part de ces moyens en R&D consacrée au domaine médical et pharmaceutique : cette part est trois fois plus grande en Allemagne (et deux fois plus grande aux États-Unis).

 

Là encore, ce n’est pas forcément le « manque de moyens » qui explique les mauvais résultats de la France, mais davantage leurs mauvaises utilisations. Ainsi, une étude menée par le Conseil d’analyse économique (CAE) publiée en 2021 analysait finement le retard français dans le domaine de recherche médicale. Premièrement, les moyens accordés à la R&D en santé sont faibles et décroissent : les crédits publics en R&D pour la santé sont passés de 3,5 milliards de dollars en 2011 à 2,5 en 2018 (soit -28,5 %), alors que pendant la même période ils augmentaient de 11 % en Allemagne (+16 % au Royaume-Uni).

Deuxièmement, les financements ne sont pas utilisés dans des recherches ayant les standards scientifiques internationaux. Plus précisément, sur 19 287 essais cliniques menés en France, seulement 5910 étaient des essais randomisés (outils statistiques reconnus en sciences médicales comme les meilleurs moyens d’évaluer les effets bénéfiques et néfastes d’une thérapie), soit 30 %, alors que 75 % l’étaient en Allemagne (68 % au Royaume-Uni). Il faut aussi souligner que 75 % des essais non randomisés français étaient financés par la recherche publique (seulement 20 % en Allemagne, et 25 % au Royaume-Uni).

Si une grande partie des fonds publics de R&D en santé sont alloués à des expériences qui n’auront jamais aucune reconnaissance internationale, car utilisant des méthodes dépassées, alors la R&D en santé française ne sera jamais en position de leadership. Il n’est donc pas surprenant que la France n’ait pas pu trouver, sur un même laps de temps, les protocoles de vaccination trouvés en Allemagne, au Royaume-Uni ou aux États-Unis.

Réduire les inégalités de santé

Améliorer l’utilisation des compétences de personnels de santé, rationaliser la gestion de nos hôpitaux en évitant l’atomisation, et enfin aligner la recherche en santé française sur les standards internationaux constituent des priorités pour faire progresser notre système de soins.

Les changements nécessaires pour y parvenir ne doivent pas être freinés par la croyance que ces réformes augmenteraient les inégalités de santé : avec un système différent en Allemagne, la probabilité d’être en bonne santé pour une personne parmi les 25 % les plus riches est 1,07 fois plus grande que pour une personne parmi les 25 % les plus pauvres, alors que ce chiffre est de 1,08 en France, comme nous l’avons montré dans une recherche récente.

En nous réformant, nous pourrons donc également réduire les inégalités de santé !

 

 Auteur :
François Langot, Enseignant-chercheur en économie à Le Mans Université, laboratoire GAINS et Directeur adjoint de l’Institut du Risque et de l’Assurance et chercheur à l'Observatoire Macro du CEPREMAP
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons.
Lire l’article original.

 

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