Le travail évolue, et il va falloir s’y préparer
Le travail évolue, et il va falloir s’y préparerLe travail évolue, et il va falloir s’y préparer
Les avancées technologiques provoquent d’une part la disparition de certains emplois, mais aussi l’apparition de nouveaux métiers. Comment anticiper ces évolutions pour accompagner au mieux et éviter les tensions sur le marché du travail ?
En juillet 2024, un rapport public nous apprenait que la réindustrialisation du pays patinait faute notamment de capacités suffisantes de formation. En octobre, des aéroports ont été durement touchés par une grève spontanée. Début novembre, Auchan et Michelin annonçaient respectivement 2400 et 1250 suppressions de postes… Autant d’informations révélatrices des tensions actuelles sur le rapport au travail.
Or, celles-ci vont inévitablement s’accentuer sous le coup des transitions écologique et démographique ou bien encore d’innovations technologiques telles que l’intelligence artificielle. C’est la leçon que l’on peut tirer de la révolution numérique des années 1980, puisque l’adoption des ordinateurs a éliminé de nombreux emplois exécutant des tâches dites routinières dans les bureaux et les usines.
Si la chose est connue, il ne faut toutefois pas perdre de vue que cette révolution a dans le même temps fait naître de nouveaux types de travailleurs, comme les développeurs de logiciels et les spécialistes en informatique. Des jobs inédits à l’époque qui emploient aujourd’hui des millions de personnes. En 2000, il y avait d’ailleurs approximativement 20 millions d’employés en France contre plus de 27 millions aujourd’hui, soit 200 000 nouveaux emplois créés chaque année en moyenne. De sorte que si les transitions entraînent des pertes d’emplois à court terme, elles sont également susceptibles d’en créer à plus long terme.
Des évolutions destructrices et créatrices d’emplois
Comme l’ont expliqué Joseph Schumpeter puis Philippe Aghion, ce phénomène de « destruction créatrice d’emplois », souvent perçu comme anxiogène, peut de ce point de vue constituer des opportunités pour le monde du travail, surtout s’il est accompagné par l’État et les partenaires sociaux.
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D’où l’importance de bien maîtriser ses tenants et aboutissants. D’autant qu’on s’attend à ce que les effets des transitions en cours soient démultipliés par la raréfaction de l’accès à certaines ressources nécessaires aux besoins essentiels de chacun et la fragmentation du marché mondial, dans un contexte géopolitique tendu.
Pour s’approprier ce phénomène, de nombreuses données statistiques nouvelles sont mobilisables, par exemple pour étudier les conséquences de ces mutations sur les inégalités de salaire, mais aussi l’impact des réformes juridiques destinées à accompagner et rendre profitable pour toutes ces futures réallocations d’emplois. Encore faut-il véritablement utiliser ces ressources pour adapter les politiques publiques aux besoins d’accompagnement que ces mutations du travail font naître.
Que mettre en place pour accompagner la réallocation des emplois ?
Si les gouvernants sont aujourd’hui conduits à faire des choix difficiles pour redresser les comptes publics, l’importance de ce travail prospectif ne doit ainsi pas être sous-estimée. Car la transition démographique et le vieillissement de la population qu’elle induit accroissent les besoins de financement de la sécurité sociale, tels que ceux des retraites. Des réformes, comme celle conduisant à un recul de l’âge moyen de départ en retraite, peuvent certes en partie garantir la soutenabilité de ses dépenses. Mais cette dernière sera avant tout assurée par des ressources croissantes venant d’un travail plus efficace. Or, cette réallocation continue des travailleurs vers les emplois les plus productifs est un phénomène complexe, car ils sont exposés de façons hétérogènes au ralentissement d’activités polluantes ou à l’automatisation de certaines tâches, pour ne prendre que ces exemples.
Ceux effectuant des tâches « robotisables » devront en effet effectuer une mobilité, comme ceux employés dans des entreprises carbonées ou trop âgés pour être formés aux nouvelles technologies. Autant de situations qui s’accompagnent potentiellement d’une perte de revenus, en faisant les perdants de ces mutations. Cela confirme l’importance pour les pouvoirs publics d’anticiper finement les mutations du travail, pour absorber ces risques de fortes variations de revenus et éviter de nouvelles tensions sociales.
Surtout que les interrogations sont nombreuses : comment opérer les réallocations d’emploi avant qu’il n’y ait des licenciements ? Quels nouveaux mécanismes inventer pour compenser les pertes de revenu, former tout au long de vie, prévenir les problèmes de santé associés ? Comment, en d’autres termes, penser ces changements pour ne pas avoir à les panser dans le cadre d’une société vieillissante, où la pérennité financière de la protection sociale et son rôle d’« amortisseur social » posent question ?
Des solutions qui doivent passer par l’échelle locale
Évaluer nationalement les systèmes existants d’aide à l’embauche et à la formation, de soutien aux bas revenus, de retraite, d’organisation du travail… pour définir les réformes permettant d’optimiser leurs rendements est un premier élément de réponse.
Mais à condition que ce rendement s’apprécie non seulement du point de vue économique, mais aussi du point de vue social et environnemental, comme devraient par exemple le permettre les nouvelles obligations de reporting extrafinancier pesant sur les entreprises, ou la publication d’un index de l’égalité professionnelle. Une seconde piste à creuser, complémentaire, passe par une nouvelle répartition des compétences entre le niveau national et les échelons locaux, qui renforce les prérogatives de ces derniers pour orienter et accompagner le redéploiement de l’emploi au niveau de leurs territoires.
Ceci suppose d’abord de donner aux élus locaux et chefs d’entreprises de leurs circonscriptions les moyens de cerner les besoins de leurs populations et de leurs travailleurs. Pour ce faire, il leur faudra notamment mettre en place de nouveaux outils de gouvernance pour prendre des décisions concertées et éclairées, par exemple via la constitution de nouveaux réseaux « sentinelle », rendant possible de monitorer, en temps réel et de façon adaptée, les transformations à l’œuvre. De ce point de vue, il serait utile de profiter de l’ancrage territorial des Universités et centres de recherche spécialisés pour créer de nouveaux partenariats public-privé sur ces questions. Ce regard croisé entre élus, employeurs et monde de la recherche pourrait ensuite être mobilisé pour évaluer, de façon indépendante et efficace, au niveau local, les réponses sur-mesure à apporter aux défis propres d’un territoire, à la lumière de leur capacité à s’articuler au mieux avec les initiatives nationales, supranationales, voire internationales.
Repenser l’interaction entre les échelles de l’État et les sphères publiques et privées s’impose d’autant plus que ces transitions changeront la géographie de l’emploi plus vite qu’on ne le croit. Elles font d’ailleurs déjà naître de nouvelles questions, liées à la territorialisation de l’énergie, l’économie circulaire, la souveraineté alimentaire, la relocation résidentielle et industrielle, la planification du care et de l’éducation…
Autant d’évolutions dont l’analyse devrait rester une priorité pour les pouvoirs publics. Cela leur permettra de mobiliser au mieux la boîte à outils juridiques et socio-économiques à leur disposition pour accompagner les destructions créatrices d’emplois, d’une façon qui permette la continuité de la satisfaction des besoins essentiels des habitants, travailleurs et entreprises. Ce n’est qu’à cette condition que ce processus pourra devenir une véritable opportunité.
Les auteurs :
Fabien Bottini, enseignant-chercheur en droit public à Le Mans Université,laboratoire Themis-UM
François Langot, enseignant-chercheur en économie à Le Mans Université, laboratoire GAINS et Directeur de l'Observatoire Macro du CEPREMAP,
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons.
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